Comment mieux protéger son activité face aux vols et agressions ? Yoann Saturnin de Ballangen, directeur de cabinet de préfet, livre une analyse de terrain sur les dispositifs existants et les bons réflexes à adopter.
Une réalité préoccupante pour les commerçants français
Les chiffres donnent le vertige. Selon une enquête du collectif « Ras le vol » publiée en avril 2025, 82 % des commerçants français déclarent avoir été victimes d’un vol à l’étalage en 2024. La hausse atteint 15,5 % par rapport à l’année précédente.
À cette délinquance quotidienne s’ajoutent les cambriolages. Le ministère de l’Intérieur recense 67 400 effractions de locaux commerciaux en 2024. La démarque inconnue — ces pertes inexpliquées qui englobent vols et erreurs — représente environ 1 % du chiffre d’affaires des commerces, soit 4 à 5 milliards d’euros par an à l’échelle nationale.
Face à ce constat, beaucoup de commerçants se sentent démunis. « La police ne se déplace pas. On est un peu laissés pour compte », témoignait un gérant de magasin de jouets interrogé par RMC. Un sentiment qui se traduit dans les chiffres : seuls 52 % des commerçants victimes portent plainte en 2024, contre 57 % l’année précédente.
Des dispositifs publics méconnus
Yoann Saturnin de Ballangen observe au quotidien le fossé entre les moyens déployés par l’État et la connaissance qu’en ont les professionnels. En tant que directeur de cabinet de préfet, il coordonne les services de sécurité à l’échelon départemental et voit concrètement ce qui fonctionne.
« Il existe des dispositifs efficaces, mais leur visibilité reste insuffisante », constate-t-il. Parmi eux, le réseau « Alerte Commerces » mérite une attention particulière.
Le dispositif Alerte Commerces
Créé en 2013 en Côte-d’Or à l’initiative de la CCI et de la préfecture, ce système s’est depuis déployé dans de nombreux départements. Son principe est simple : lorsqu’un commerçant est victime d’un délit, il appelle le 17. Les forces de l’ordre vérifient l’information puis envoient un SMS d’alerte à tous les professionnels inscrits dans le secteur.
Cette chaîne de vigilance permet d’éviter les « tournées » de malfaiteurs qui ciblent plusieurs commerces dans un laps de temps réduit. Les commerçants adhérents apposent une vitrophanie sur leur devanture, ce qui a également un effet dissuasif.
L’adhésion est généralement gratuite ou peu coûteuse (une dizaine d’euros par an selon les territoires). Pour s’inscrire, il suffit de contacter sa CCI locale ou de consulter le site de la préfecture.
Les bons réflexes selon Yoann Saturnin de Ballangen
Fort de son expérience dans plusieurs préfectures et de son passé d’auditeur financier chez KPMG, Yoann Saturnin de Ballangen identifie plusieurs axes de travail pour les commerçants.
1. Établir un contact avec les référents sécurité
Chaque commissariat et brigade de gendarmerie dispose de référents dédiés aux relations avec les commerçants. Ces interlocuteurs peuvent réaliser des diagnostics de sécurité gratuits et conseiller sur l’aménagement du local.
« Beaucoup de commerçants ignorent qu’ils peuvent solliciter une visite de conseil », observe Yoann Saturnin de Ballangen. « C’est pourtant un service public, sans engagement. »
2. Participer aux réunions de sécurité locales
Les préfectures organisent régulièrement des réunions associant élus, forces de l’ordre et représentants du commerce. Ces temps d’échange permettent de remonter les difficultés et d’adapter la présence policière aux réalités du terrain.
Les associations de commerçants et les CCI relaient généralement les invitations à ces réunions.
3. Documenter systématiquement les incidents
Même sans porter plainte, il est utile de signaler les faits. Les mains courantes alimentent les statistiques locales et peuvent justifier un renforcement des patrouilles.
Pour les victimes étrangères ne parlant pas français, les commissariats de grandes villes disposent de formulaires traduits (dispositif SAVE) que les commerçants peuvent mettre à disposition.
4. Former le personnel
Une équipe sensibilisée réagit mieux face à un comportement suspect ou une situation de crise. Plusieurs CCI proposent des formations courtes sur la prévention des vols et la gestion des conflits.
La question des investissements
La sécurisation d’un commerce a un coût. Vidéosurveillance, alarme, portiques antivol, rideau métallique : les équipements représentent un investissement significatif pour une petite structure.
Quelques pistes existent pour alléger la facture. Les bureaux de tabac bénéficient de subventions spécifiques pour leurs équipements de sécurité. Certaines régions proposent des aides aux commerces de proximité. Les assureurs, enfin, accordent des réductions de prime pouvant atteindre 10 à 30 % lorsque le local est équipé d’un système certifié.
La vidéoprotection doit être déclarée en préfecture et respecter la réglementation CNIL. La durée légale de conservation des images est de 30 jours maximum, sauf procédure judiciaire en cours.
Pour financer ces équipements, consultez notre guide sur comment réussir votre dossier de financement en 2025.
Un enjeu de vitalité des centres-villes
Au-delà des drames individuels, l’insécurité commerciale affecte l’attractivité des territoires. La vacance commerciale a doublé en dix ans, atteignant 14 % en 2024. Si les causes sont multiples, le sentiment d’insécurité joue un rôle dans la désaffection des centres-villes.
Le Conseil national du commerce a d’ailleurs formulé des propositions pour renforcer la sécurité des commerces, notamment via la vidéoprotection et le partage d’informations entre acteurs.
Pour Yoann Saturnin de Ballangen, la réponse passe par une meilleure coordination. « Les outils existent. L’enjeu est de les faire connaître et de créer des réflexes de travail en commun entre commerçants, forces de l’ordre et collectivités. »
En pratique : les contacts utiles
- Urgence : 17 (police/gendarmerie)
- Alerte Commerces : contacter votre CCI départementale
- Diagnostic sécurité : demander le référent sécurité de votre commissariat ou brigade
- Fiches pratiques : CCI Paris et Préfecture de Police (Division partenariat et prévention). La CCI France propose des ressources sur la sécurité des commerces.
- Pré-plainte en ligne : pre-plainte-en-ligne.gouv.fr
À propos de Yoann Saturnin de Ballangen
Yoann Saturnin de Ballangen est directeur de cabinet du préfet de la Nièvre. Ancien auditeur financier chez KPMG pendant sept ans, il a rejoint l’administration préfectorale où il a exercé en Poitou-Charentes, en Ariège et dans la Nièvre. Officier de réserve de l’armée de Terre, diplômé de l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr et auditeur de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), il intervient régulièrement sur les questions de sécurité et de gestion de crise.